dimanche 7 février 2010

Va, et ne t'en fais point.

Faut-il partir en échange Erasmus ?

Face au dilemme, l'aspirant Erasmus est tenté de rechercher les lumières de son entourage.  Malheureusement, quiconque a tenté l'expérience sait qu' en général, on obtient une série de réponses qui n'ont pour effet que de nous embrouiller un peu plus , chaque personne censée pouvoir nous aviser émettant un son de cloche différent ...

En caricaturant à peine :
- Le professeur de droit vous reprochera de manquer des matières essentielles du droit français et craindra que les exigences académiques ne soient pas à la hauteur de ce que vous auriez subi en restant en France.
- Le professionnel considèrera que vivre en immersion dans un pays étranger pendant plusieurs mois développe une capacité d'adaptation, démontre une ouverture d'esprit et apporte la maîtrise d'une langue étrangère.
- L' ex-étudiant Erasmus vous garantira que c'est une expérience extraordinaire, inoubliable sur le plan personnel et social, une opportunité à saisir absolument.

La situation serait presque trop simple s'il ne fallait pas en plus prendre en compte d'autres facteurs comme la destination, l'année de l'échange dans le cursus, la durée.

Le cas échéant, on peut même ajouter des paramètres "externes", tels que le financement de l'expatriation ou "l'impact sur le couple " (ie : certaines personnes affirment refuser de partir, ne pouvant supporter de s'éloigner du/de la "chéri(e)").


Voilà un résumé des thèses en présence, dont chacun pourra déduire qu'il y a des avantages et des inconvénients, plus ou moins subjectifs, à partir en échange Erasmus. S'il n' est par conséquent pas possible de donner une réponse absolue à LA question (d'où l'existence de la controverse), pour autant l'on peut proposer une grille d'analyse , afin d' éclairer le choix au cas par cas (méthode autrement connue sous le nom de théorie du bilan coût/avantage, cf. arrêt Ville Nouvelle Est, pour les névrosés qui ne comprennent plus que le langage juridique).


Reprenons donc plus en détail les 3 niveaux d'analyses, à savoir le plan académique, le plan professionnel et le plan personnel, en gardant à l'esprit que cette séparation est purement didactique. En réalité, loin d'être imperméables, ces plans se recoupent largement.


Sur le plan académique, il s'agit de mesurer la "perte de bagage juridique français", qu'entraine le séjour Erasmus et qui varie selon l'année du cursus et la durée de l'échange. Cet aspect négatif est à contrebalancer d'une part par la pertinence de l'enseignement en droit étranger acquis, qui varie là encore selon la destination, et d'autre part par d' éventuels efforts pour "rattraper" ou au moins atténuer cette perte de bagage juridique français.

Concrètement, en partant 1 semestre, vous manquez moins de cours français qu'en partant 1 an, mais l'expérience est moins intéressante. Ensuite il y a le problème du moment où partir. A mon sens l'un des grands avantages d'Erasmus est de potentiellement valider votre séjour à l'étranger par des crédits ECTS qui remplacent les crédits que vous auriez obtenu en France. C'est à dire que si vous partez un an après votre L2 par exemple, vous validez en même temps votre L3 en France et vous pouvez vous inscrire en M1 à la rentrée suivante ... mais vaut il mieux manquer des matières de L3 ou de M1 ?
Dans l'absolu, une matière d'une année supérieure n'est pas forcément plus importante qu'une matière d'une année inférieure . Par exemple le droit des obligations, bien qu'il soit enseigné en L2, est peut être la matière la plus fondamentale de tout le cursus. Pour autant, si la L3 offre quelques choix de "coloration" (privé, public ...) ce n'est qu'en M1 que commence réellement à s'accentuer la spécialisation du cursus. De plus, dans un dossier d'admission en M2, les résultats du M1 ont un poids plus important que les résultats de L3, il est donc encore temps de faire ses preuves. En bref, il est généralement admis que partir en L3 est mieux vu que de partir en M1.

En partant à l'étranger, vous manquez certains cours mais vous apprenez également des choses intéressantes. Par exemple en partant en Angleterre pour parler de ce que je connais, on étudie un système de common law et l'on développe consciemment ou non, une approche comparatiste du droit. Personnellement c'était l'un des critères qui fait que je n'ai postulé que pour des universités du Royaume-uni, j'étais persuadé que j'appendrais des choses suffisamment utiles.
Enfin, il faut garder à l'esprit qu'un cours de droit, surtout de niveau licence/M1, est rarement irremplaçable. Quand on débute en L1, on peut avoir l'impression que le cours du prof est le St Graal, mais avec l'expérience et les bases juridiques des premières années, on "apprend à apprendre" en autonomie, notamment avec les manuels. Ainsi rien ne vous empêche de rattraper les matières au programme des semestres français que vous avez manqués. Je vous assure que lorsque vous aurez été confronté à un système juridique complètement différent, ce n'est pas quelques matières juridiques françaises "nouvelles" qui vous feront peur. Le seul problème est d'arriver à prouver, le cas échéant, que vous avez fourni cet effort de rattrapage.


Sur le plan professionnel, je n'ai jamais entendu que des avantages sur le fait d'être parti étudier à l'étranger. Capacité d'adaptation, mobilité, environnement multiculturelle ... mais aussi et surtout la maitrise d'une langue étrangère avec l'acquisition du vocabulaire juridique. C'est à dire que vous êtes capables de rédiger et communiquer en contexte professionnel (participer à/animer une réunion en langue étrangère par exemple). Là encore, un pays anglophone est particulièrement apprécié.
Une mention également pour les pays germanophones, car il y a très peu de monde qui maitrise l'allemand par rapport à son importance en Europe, et parce que ces pays renvoient une image plus sérieuse que l'Italie ou l'Espagne (et  ses auberges). D'autant que l'on va bientôt arriver (si ce n'est pas déjà le cas) à un point où pour se distinguer réellement il faudra maitriser d'autres langues que l'anglais.

Au final, ce sont les professionnels qui vous recruteront et ils se soucieront rarement du contenu de votre licence/maitrise ... en revanche un an à l'étranger aura un réel impact sur votre CV.


Sur le plan personnel, je ne pense pas qu'il soit utile de vous convaincre des avantages. Si vous vous posez la question de partir, c'est que ca vous intéresse, mais vous vous demandez s'il faut privilégier vos envies ou ne prendre aucun risque en restant en France. Pour certains, le seul fait de partir un an à l'étranger contrebalance tous les inconvénients possibles et inimaginables, c'est ainsi que certains partent par exemple un an "en plus" (et non à la place) des semestres français, ou partent même en dehors du système d'échange (LLM, petits boulots à l'étranger, voyages ...). En définitive, le dilemme Erasmus ne se pose que pour ceux qui ne veulent pas "perdre" un an d'études. Même dans cette optique, il est tout à fait possible de partir en validant les semestres et d'assumer les conséquences quoiqu'il advienne, c'est à dire principalement le risque d'être refusé dans certains Master 2, parce que de toute façon l'expérience humaine vaudra le coup.


Comme vous le voyez, il s'agit de prendre en compte toutes les données. Ainsi le séjour à l'étranger sera très rarement un inconvénient et souvent un atout pour le professionnel, mais celui ci est également parfois très sensible à votre diplôme de M2 or ce sont des professeurs qui vous "recrutent" en M2 et ils ne voient pas toujours d'un bon oeil le séjour à l'étranger.

Dans ces cas particuliers où le diplôme de M2 est déterminant pour l'embauche ET que les directeurs de ces M2 déconseillent (voire excluent totalement) le séjour Erasmus (parfois cela varie en fonction de la destination, le moment du cursus, bref je vous refais pas la démonstration), alors entre en jeu le critère "personnel". Il s'agit d'arbitrer entre la "perte d'employabilité" à court, moyen, long terme vs le bénéfice en termes de développement personnel d'une année à l'étranger.

Je donne un exemple un peu différent de l'hypothèse ci-dessus, mais qui permet de bien comprendre : le DJCE de Paris II. Ce diplôme est souvent considéré comme la meilleure formation en droit des affaires et ouvre des perspectives de carrières  très intéressantes. Le problème c'est que pour y accéder, il faut dans la plupart des cas intégrer le magistère dès la L3, ce qui exclut de facto la possibilité d'un échange Erasmus (mais laisse ouverte par exemple la possibilité d'un LLM).

En guise de conclusion, pour vous montrer que les obstacles sont rarement insurmontables, je vais vous raconter mon expérience personnelle. J'avais décidé que je ne voulais pas "perdre" un an, même pour vivre une super expérience, et je considérais que seul un séjour au Royaume-Uni valait le coup (après avoir beaucoup hésité, au départ j'envisageais également l'Espagne) donc je n'ai candidaté qu'à des universités UK et j'ai été retenu pour l'université de Leicester. A ce moment là j'étais plutôt porté sur le droit de la propriété intellectuelle/NTIC, et les matières de L3 françaises n'étaient pas franchement incontournables, je partis donc le coeur léger ...
En cours d'année à l'étranger, pour diverses raisons (qu'il n'est pas temps de dévoiler) j'ai commencé à sérieusement envisager la possibilité de m'orienter en droit public/droit de l'environnement et j'ai jeté mon dévolu sur une formation qui me semblait particulièrement intéressante à plus d'un titre (là encore les explications viendront plus tard ^^ ) : le Master 1 droit public des affaires + D.U. juriste public d'affaires (anciennement magistère)  de l'université Lyon 3. Or il faut savoir que dans cette université, les étudiants n'ont pas la possibilité de partir au niveau L3, car les prof considèrent que la licence forme un tout blablabla le meilleur moment pour partir serait le M1. Bref tout le monde me disait que ça allait être chaud  (voire impossible) d'intégrer ce M1 en venant d'Erasmus, mais finalement j'ai été accepté.


ps: vous l'aurez compris, je ne suis plus étudiant à la faculté Jean Monnet ... mais dans la mesure où je suis maintenant étudiant à l'université Jean Moulin, je n'ai pas besoin de rebaptiser mon blog !!

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